Le « Fort Turc » de Jean Baptiste GREGORI
François VALERO et le « veau marin «
A la Pointe Pescade 1, Jean Baptiste a réalisé un vieux rêve: après trente ans de travail acharné ,il a pu acheter son paradis sur terre :un vieux fort turc délabré perché sur une falaise dominant une mer poissonneuse en diable et une plage. déserte.
Il a restauré le bâtiment , et de toute sa force et son amour l’a transformé en une fabuleuse villa d’été où il reçoit toute sa famille .
Une quarantaine de personnes, petits et grands, se retrouvent ainsi chaque année pour des vacances inoubliables.
Là se situe la fameuse histoire de François Valéro, enfant :
– » on a attrapé le veau marin « .
Voici cette histoire: authentique!
Cet été là, dans les années 1920, toute la famille GREGORI au grand complet se retrouvait « au fort turc ».
Après un repas comme on aimait à les faire en ces temps et en ces lieux , avec grande paella arrosée de vin rosé, précédée d’apéritif à l’anisette, à la kémia, et suivie de gâteaux maison, de café et de « pousse-café », les parents s’étaient retirés dans leur chambre respective pour y faire une sieste royale!
Les enfants étaient censés en faire autant!
Mais la tentation de la plage aux sables dorés , de ses abris sous les rochers humides ,et de tous les jeux de leur âge était trop forte! Pieds nus, en gandouras, sans chapeau, méprisant les inévitables coups de soleil , ils descendaient l’escalier, les uns derrière les autres, en cachette, tout doucement, pour ne pas réveiller les dormeurs!
Et voilà qu’au bord de l ‘eau , dans une confortable petite grotte, qui dormait??? mais qui??? le veau marin lui-même!
Ce phoque-moine habitué des lieux tout au long de l’année lorsqu’il en était le seul occupant, dormait dans la grotte, en ronflant et soufflant..
Il ne se doutait pas de la présence des enfants qui se faisaient silencieux au maximum, sur la pointe des pieds, prêts à toutes les taquineries possibles!
Déjà le petit François avait en main une longue corde! Déjà il avait attaché une casserole de la cuisine à l’une des extrémités! Un nœud coulant en vitesse à l’autre bout , et « vinga »2, voilà la corde attachée à la queue du veau marin! et voilà le veau marin réveillé brutalement, avec une effroyable frousse et un plongeon immédiat dans la mer, sous les hurlements des gamins:
on a attrapé le veau marin! on a attrapé le veau marin »!!!
A leur tour réveillés , tirés de leur profonde sieste , les parents irrités ne crurent pas un mot de l’histoire:
-« allez vous coucher sales gosses! et ne racontez pas de mensonges à vos parents »!!!
Quelques jours plus tard, Jean Baptiste GREGORI , toujours levé à l’aube , prit au lever du soleil, sa « pastera »3, pour aller pêcher à la palangrotte…
Tout en admirant la beauté de la mer plate sous un ciel qui peu à peu s’embrasait des feux d’un soleil d’août, , que vit-il, à quelques encablures, sur le rocher moussu où il avait l’habitude d’aller chercher des vers pour amorcer ses lignes, que vit-il, dites moi, oui, que vit-il????
Vous l’avez deviné! Il vit de tous ses yeux écarquillés d’étonnement, le veau marin soufflant sur le rocher, une corde au bout de la queue et la casserole de la cuisine bien attachée à la corde!!!
denisevb@club-internet.fr
ONCLE CHARLES
» LE VEAU MARIN «
Je n’ai pas à fermer les yeux pour revoir, il y a longtemps, bien longtemps, de l’autre côté de la Méditerranée, la petite fille sans impatience qui durant des heures, sur le sommet d’une falaise, face à la mer, attendait de l’horizon sans fin un impossible message.
La mer de mon enfance était bordée de falaises à pic et de plages étroites que les vagues de l’hiver encombraient d’algues brunes longtemps humides, jusqu’à l’été qui les desséchait.
Je n’avais pas appris à observer et me laissais couler dans le temps, rêvassant dans mon creux de rocher abrité du soleil, imaginant la vie au lieu de la vivre…
Ou bien offerte à la mer !
Sans mes parents, gens des Hauts Plateaux Sétifiens, amateurs de troupeaux de moutons et de champs de blés, je retrouvais ma tante Jeanne et surtout son époux, l’oncle Charles, celui qui m’a donné mon Elément !
A trois ans à peine, avant la naissance de ma cousine Minou , je n’ignora is pas l’aventure de la nage de fond, la main simplement posée sur l’épaule de l’oncle Charles qui partait vers le large avec son léger chargement, à la vitesse de ses battements de pied infatigables.
Les pêcheurs à la palangrotte dans leur barque, lorsqu’ils apercevaient à l’horizon le moulinet de son crawl travaillant l’eau vive, le confondaient souvent avec le » veau marin » .
Aujourd’hui cette espèce, nommée par les spécialistes » Monachus monachus « , ou » phoque moine « , est en voie de disparition hélas, mais autrefois, » notre veau marin » logeait encore dans une grotte à double issue de notre paradis de vacances.
L’oncle Charles le rencontrait souvent à la mer , mais » jamais sur les rochers » disait-il.
Comment aurais-je pu le contredire en lui relatant ma rencontre avec le phoque sur un petit rocher ?
J’ai dans la bouche encore le goût de l’eau salée, dans les yeux sa brûlure et celle du soleil ; le rocher hostile et griffu égratigne encore la paume de mes mains, je me hisse, avec peine, après ma baignade. Et , levant la tête ,je vois, face à moi, me regardant et soufflant sur ses moustaches le veau marin épouvanté lui aussi et qui s’enfuit en plongeant sans attendre.
Cette petite aventure je ne pouvais la conter à mon oncle. Il n’aurait pas voulu me croire , aurait dénoncé le mensonge, et selon une tradition bien établie, pour ma punition aurait proposé :- » que préfères-tu ? Une fessée chaude ou une fessée froide » ? ? ?
Je préférais garder le silence et m’enfuir dans quelque refuge de l ‘ »Archevêché « . J’étais seule, ma cousine » Minou « , seule aussi capturait des crevettes dans un trou d’eau ou domestiquait des lézards verts au soleil… Pas de petites amies ! Mon oncle méprisait » l’instinct grégaire » ! l’homme fort savait rester seul ! ! !
L ‘ Archevêché, c’était la propriété où je passais mes vacances.
Au début du siècle, vers 1904.1905,un prélat, amoureux de la mer, avait acheté à l’administration des domaines toute une suite d’hectares de rochers et de plages à une dizaine de kilomètres d’Alger ,aux » Bains Romains « .Là cet esthète venait méditer , reprendre contact avec la nature.
Dans une grotte où la mer entrait, il avait fait aménager une » baignoire « , longuement rectangulaire en mosaïques de couleur qui se remplissait d’eau à l’aurore estivale.
Mon oncle m ‘ en avait expliqué le fonctionnement naturel : – » Tout au long du rivage algérien, la côte est trop accore et trop rectiligne pour que la marée s’y manifeste . En été par temps calme l’eau marque un peu plus bas sur les rochers , le matin , avant que la brise de Nord Est se lève, et, par son clapotis, fasse rapidement remonter le niveau de l’eau » .
La baignoire de l’Archevêque était intacte aux temps de ma jeunesse mais la petite chapelle voisine, pillée de ses ornements et de ses vitraux, était ouverte aux quatre vents.
Toute proche , une source d’eau douce et fraîche s’égrenait le long d’une pente, comme un long chapelet, butant de pierre en pierre, jusqu’à la valve de coquillage bénitier, où elle faisait halte, avant de retomber, une dernière fois, en cascade, dans la nappe souterraine, vibrante de moustiques.
Mon père avait acquis la parcelle de terrain parée de ces trésors et de la plage privée aussi qui , un niveau plus bas s’étalait, couverte d’algues brunes refoulées , et riche de fonds pavés d’oursins délectables. Mon oncle les détectait, à l’aide d’un carreau, et, soit il les » plongeait « , soit il les détachait à l’aide d’un » ganch » . Il fallait nager quelques brasses pour atteindre le petit rocher secret où je rencontrai » mon » veau marin !
A l’époque ces privilèges me paraissaient sans grand intérêt, j’attendais du ciel je ne sais quoi de prodigieux ! Aujourd’hui , face à mon coin de campagne dans le centre de Nice, entre la terrasse aux poissons rouges et celle aux bougainvillées , devant l’ordinateur, devenue quasi virtuelle, je revois les merveilles d ‘ autrefois et surtout les êtres que j’aimais, qui passèrent par là et ne sont plus, n ‘existent plus, se sont envolés à jamais , comme ne sont plus pour moi les lieux de mon enfance dans mon pays perdu et la vie me semble un rêve…
denisevb@club-internet.fr
ONCLE MAX
le Chenoua des quatre vents
l’héritage phénicien
et le » veau marin » de petite Colette…
Le Chenoua, un « djebel » 1,dont une pente descendait doucement vers la mer en une suite de falaises… A l ‘est , Tipasa, à l ‘ ouest , Cherchell, l’antique Césarée, capitale de Juba II. 2 Là, ce n’était plus le paradis de mon oncle Charles, mais celui de mon oncle » Max « 3. Deuxième époux de ma tante Augustine, 4 l’oncle Max était un médecin doublé d’un artiste, peintre, musicien, archéologue.
C’était un être séduisant, amoureux de la vie, de la beauté. Il aura influencé bien des jeunes qui l ‘ entouraient et dont je faisais partie. Dans sa jeunesse , disciple de Stéphane Gsell, il avait, avec lui, étudié les ruines de Tipasa, à terre comme dans les fonds sous marins et revenir sur ces lieux était pour lui un pèlerinage aux sources .
A quelques kilomètres de Tipasa, entre le hameau du « Chenoua-plage « où se bâtissaient quelques maisons et villas, et la ville de Cherchell, il avait découvert un admirable site, sauvage et solitaire, » les quatre vents « . Ebloui, il avait acheté, peu à peu ,parcelle par parcelle ,un ensemble de falaises et de plages désertes à une tribu kabyle amicale composée de 18 propriétaires pas toujours d’accord entre eux. Les tractations avaient duré des années.
Oncle Max montait jusqu’au sommet du djebel pour soigner gratuitement toute la tribu, leur donnait des médicaments, et chaque fois recevait une ovation, revenait avec du couscous roulé par les mains des femmes et même un jour avec une petite poterie . J’ai conservé ce récipient et sa soucoupe. Façonnés avec l’argile locale, ornés de dessins géométriques peints à l’ocre, ce sont des objets de facture primitive, dont la tradition remonte aux temps les plus lointains et véhicule leur enseignement …
A la limite des terrains surplombant la mer, sur le haut des falaises, des vestiges antiques apparaissaient à fleur de sol, des urnes tronquées contenant encore des crânes avec quelques dents . Oncle Max soulevait ses lunettes, les fixait à son front, pour examiner de près la trouvaille : – » celui-ci, diagnostiquait-il en souriant, un phénicien c’est évident, devait avoir environ trente deux ans « !
Un comptoir phénicien avait existé dans le secteur , avant la présence romaine et ses nombreuses traces !
La base d’une colonne antique, en marbre , nous servait de siège en plein air : nous n’aurions même pas eu l’idée d’en faire un trésor de salon, à faire admirer par les amis et connaissances ! ! !
L’oncle Max avait cependant amassé au cours des temps une fort belle collection d’objets antiques : statuettes, lampes à huile, poteries…plus tard perdue à son grand désespoir…
De temps en temps il organisait une marche » à la découverte « , semant sur le parcours à l’avance quelques pièces de monnaie romaine, certain de me mystifier sans difficulté, et d ‘ entendre mes cris de joie devant mes » trouvailles » !
Sa passion pour ces lieux l’avait même décidé à s’installer à Cherchell ,à ouvrir là son cabinet médical . Il s’était lié d’amitié avec le curé de la paroisse, avait offert à l’église une magnifique crèche, avec des santons de grande taille, et peint lui même les paysages bibliques , Bethléem et autres lieux, sur une longue toile qui chaque année, pour Noël, servait de fond .
Lorsqu’il fallut quitter l’Algérie, toute cette crèche me fut envoyée. Je l’ai offerte à un jeune prêtre des Basses Alpes, dans le secteur de Thorenc. Il paraît qu’elle est toujours utilisée depuis, lors de chaque fête de Noël. Où exactement ? Je ne saurais le dire ! Il faudrait chercher… Peut-être l’oncle Max avait-il signé de son » pseudo « , » MORLANE « , qui était le patronyme de sa mère…
Dans la grande malle en osier contenant ces souvenirs, il se trouvait aussi des vitraux. L’un d’entre eux avait été offert à l’église de Cherchell par la famille VALéRO. Je ne sais plus où sont passés ces vitraux.
Où avais-je la tête ? !
Profitons- en pour faire face aux réalités et les accepter : on ne peut impunément passer par de tels » événements » sans recevoir » le coup de bambou » ! ! !
Aujourd’hui, devenue quasi » virtuelle » , dans ma récente » sagesse « , je me délecte en me remémorant tous ces souvenirs d’autrefois….
J’ai dit : « sagesse » !Mon oncle Charles, en » ricanant « , car il ne savait pas rire vraiment, disait :- » sagesse = vieillesse » ! ! !
» Aucune importance » ! vais je aujourd’hui répondre à son ombre ! – » j’accepte mon actuelle situation , me rappelant la réflexion de Gide, dans son journal, quelques temps avant sa disparition :
– » Ma propre position par rapport au soleil ne doit pas me faire trouver l’aurore moins belle » !
-« Et le » veau marin » de Colette au Chenoua , allez vous demander , quelle est son histoire , puisque dans le paradis de l’oncle Max il était aussi question de » veau marin » !
Ma petite fille Colette était alors parmi nous , très choyée par tous ces adultes. Elle restait silencieuse en écoutant gravement selon son habitude parler les » grandes personnes » . Elle les écoutait sans mot dire, contemplant les images de sa vie intérieure…
Pour elle le » veau marin » ne pouvait être qu’un veau à quatre pattes, comme elle en avait vu lors d’un marché aux bestiaux.
Un joli petit veau à quatre pattes mais avec des nageoires de poisson et une queue de sirène…
[…] – 3 histoires de veaux marins […]
Chère Denise, je relis votre récit de ce Chenoua que j’ai si bien connu et tnt aimé enfant, ainsi que Cherchell, où nous passions une partie du mois de juillet auprès de mon grand-père (celui qu vous appelez oncle Max) et de Tatie, son épouse. J’ai essayé d’oublier et j’ai beaucoup voyagé pour cela en dehors de Paris où j’habite, mais les souvenirs de ces lieux reviennent tard dans la nuit et je vous relis. Je me souviens aussi de Colette comme de vouus-même. Et, mon père Pierre Trainar m’a si souvent parlé de vous. J’espère que vous allez bien. Merci pour votre blog. Affectueusement, Philippe (Trainar)
Cher Philippe, c’est un bonheur de vous lire. Je decouvre aujourd’hui 18 aout votre message du 30 juin…Votre pere fut un grand ami d’enfance et j’avais eu le privilege de le retrouver ainsi que votre mere, si charmante, a Nice, puis a Toulouse…Helas ils nous ont quittes…Dans ma retraite de Californie sud je les evoque bien souvent, en savourant mes souvenirs…ceux d’ exceptionnels amis et amies tels que vos parents…Ce blog est un merveilleux outil …Je vous espere en excellente forme a tous egards ainsi que votre famille. Affectueusement, Denise (Boulet-Dunn).